L’avenir des jardins se dessine

Le marché du jardin évolue. Les professionnels doivent s’adapter pour répondre aux attentes d’une clientèle en quête d’authenticité et de renouveau. Décryptage avec Manuel Rucar, tendanceur expert.

David Fouillé. Quel est votre regard sur le marché actuel et à venir du jardin en France ?
Manuel Rucar. Depuis fin 2022, le marché du jardin est bousculé entre une météo instable, une inflation qui laisse peu de budget aux dépenses d’amélioration du cadre de vie, des tensions internes comme les récentes révélations de Mediapart sur le management de Truffaut, et un marché des jardineries globalement mature depuis au moins 2015, qui a perdu en 2024 2% de son parc de magasins en fermetures pures et simples.

S’il est délicat d’apporter un constat global sur le retail jardin, il faut constater que l’atomisation semble tirer son épingle du jeu : les indépendants semblent plus agiles et se repositionnent. Les enseignes discount progressent à l’image d’Action, Teddy, B&M. Les bons fleuristes progressent quand les autres disparaissent. Les concept-stores se différencient de plus en plus et les paysagistes rétrogradent en acceptant que leurs clients « phasent » leurs projets sur plusieurs années, quitte à faire la réalisation eux-mêmes ! Les métiers du jardin changent. Les produits consommables sont attendus avec le prix le plus bas possible, et les produits de qualité semblent manquer, voire introuvables ! Reste une vaste gamme très étroite, mais profonde, autour de produits de moyenne gamme, jugés trop chers pour la durabilité proposée, notamment dans le mobilier, les accessoires et le luminaire. Certaines enseignes font le pari du commerce sans publicité, sans merchandising, sans artifice : un produit nu ou presque, comme chez BricoDépôt pour le bricolage, Normal pour les produits du quotidien ou JMT pour l’animalerie.
En chiffre
Si les ventes web semblent plafonner à 13% du marché, la GSA et la GSB restent les leaders sur le volume : respectivement 16 et 30% des PDM (LSA 2024), quasiment le même découpage stable sur les 10 dernières années.
D.F. Est-ce la fin de l’amour des particuliers pour le jardin ?
M.R. C’est plutôt le contraire ! L’attention du particulier et sa cote d’amour pour notre univers est bien là ! Comme en témoigne le nombre d’ouvrages, de foires aux jardins et de comptes Instagram et Tiktok traitant spécifiquement le sujet qui ne cessent de croître. Notons par exemple les comptes de Goran le permaculteur avec plus d’un million d’abonnés, tout comme the frenchie gardener ou plus récemment les paysagistes Indiana José ou Marvin de Atmoss-Vert qui dépassent le million de vues sur certaines vidéos, démontrant l’intérêt pour le grand public de sujets en lien avec le jardin !

D.F. Que est le portrait de ce consommateur à reconquérir ?
M.R. Annoncée depuis trois ans, l’année 2025 marque un changement démographique : les millennials (25-43 ans) représentent désormais 40% des consommateurs selon l’INSEE 2024 et 50% des sommes dépensées dans l’univers des loisirs (45,4% dans l’univers jardin en septembre 2024). Notons le profil consommateur de « l’accro » qui représente à lui seul 26,5% des sommes dépensées ces trois dernières années autour de produits de jardin.

D.F. Est-ce donc lui l’avenir du jardin ?
M.R. N’oublions pas que cette génération se démarque par sa volonté de « profiter de la vie » et dédie une large part de ses revenus aux loisirs (dont les voyages, les plateformes de streaming audio et vidéo) et qu’il faudra aussi préparer notre marché à l’arrivée imminente de la génération Z qui change totalement son rapport à la consommation, au monde et au futur, avec les incidences que l’on connaît déjà dans le monde du travail...
Demain
Durant l’été 2024, Chlorosphère, avec l’appui de 50 professionnels de la distribution, a publié le manifeste Renatura pour définir les contours de la jardinerie de demain : ce serait un tiers-lieu où les services prennent une place prépondérante sur le retail : jardins ouvrier, jardins showroom, libre-service matériaux, recyclerie, déchetterie, atelier seconde main, espaces pédagogiques, les professionnels sont unanimes : l’humain avant tout !
2025, l’année où les millennials font la bascule !
Lassé du rythme effréné de la ville, le millennial a récemment acquis une maison ancienne à la campagne. En quête d’authenticité et de retour à la nature, il s’est immergé dans l’univers du jardinage. Suivant de près les conseils d’influenceurs spécialisés, il passe de longues heures à aménager son extérieur. Intrigué par la botanique, il possède une bibliothèque bien garnie sur le sujet et aime se perdre dans les sentiers forestiers lors de ses balades. Éco-conscient, il a à coeur de préserver l’environnement et de vivre en harmonie avec la nature.
Entouré d’animaux de compagnie, il a un beau jardin et cherche constamment de nouvelles façons de rendre son jardin plus autonome naturellement. Il ne mettra pas de côté l’esthétique pour embellir son espace extérieur. Il est prêt à investir pour créer un jardin unique.
Motivations d’achat :
• Produits authentiques
• Astuces et bonnes idées
• Nouvelles pratiques
• Variétés peu communes ou botaniques

Sa façon d’acheter :
Il cherche à se connecter avec les experts, obtenant des conseils personnalisés, tout en soutenant l’économie locale. Sa démarche est souvent écoresponsable, cherchant à faire des choix durables.
Exemple :
Il préfère acheter son sapin de Noël directement en pépinière de plein champ et le prélever lui-même !

Sa façon de jardiner :
Il privilégie la forme ET le fond. Son regard se porte sur des variétés peu communes et il sait les mettre en valeur. Il s’inspire beaucoup de Pinterest et autres réseaux sociaux. Il est prêt à consacrer du temps à son jardin ! C’est presque son premier poste de dépense et sa plus grande fierté.
Exemple :
Il n’est pas parfait mais chaque année il teste des choses, sa dernière lubie : la culture de wasabi et de maté
De Netflix au jardin
D.F. Dans votre cahier de tendances 2026, un phénomène a attiré notre attention, pouvez-vous nous expliquer ?
M.R. La production Netflix « Les Chroniques de Bridgerton » a eu un impact considérable sur la consommation, bien au-delà de son succès d’audience durable depuis 2020. Son esthétique raffinée, ses costumes somptueux et son univers romantique ont suscité un véritable engouement, donnant naissance à ce qu’on appelle le style Regencycore visible dans la mode, la déco, l’art de la table et de, plus en plus, dans le jardin. En effet, cette série à succès a non seulement fait évoluer le goût des millennials en popularisant le style Régence, mais elle a également laissé une empreinte indélébile sur nos envies de jardin. En effet, les somptueux jardins à l’anglaise et les parterres fleuris de la série ont suscité un engouement sans précédent (la série a cumulé plus de 299 millions de vues dans le monde) pour un retour à l’élégance classique. L’univers de Bridgerton, avec ses soirées mondaines, ses intérieurs luxueux et ses romances passionnées, représente un idéal de vie auquel de nombreux spectateurs aspirent. Ce désir d’évasion se traduit par une envie de s’approprier les codes esthétiques de la série. Citons par exemple l’étude INOHA 2023/2024 qui indique un volume annuel de recherches en ligne de plus de 850 000 sur les « serres de jardin » ou le retour dans le top ventes amazon du mobilier d’extérieur, des pièces en fonte d’aluminium au style régent ou des parasols à franges. Côté palette végétale, la glycine est bien sûr très attendue. Les vivaces d’ombre et à grand développement font aussi partie du casting de Bridgerton : astilbes, digitales, delphinium.

D’ores et déjà annoncé comme un thème phare des mariages à venir, le style Régence touchera également la fleuristerie et l’événementiel. Les marques ne s’y trompent pas, Nike, Ladurée, Versace, Lush, Kiko ou encore Primark ont connu une croissance de +63% des ventes de produits liés au style regencycore durant les semaines de diffusion de la saison 3.
L’impact sur le référencement web a été assez phénoménal avec une forte incidence des 2,4 millions de mentions Bridgerton... Avec un retour attendu pour le printemps 2026, la showrunneuse Jess Brownell maintient le suspense autour de la saison 4 (sur 8 !) de ce qui s’annonce comme « son meilleur travail » et qui aura, évidemment, un impact sur nos styles de jardin. Les couleurs sont annoncées : le mauve et le bleu clair comme écrin à ces romances d’un autre temps qui popularisent des oubliés de l’outdoor qui deviennent de vraies garden-parties : les gazebos, kiosques, lampadaires et autres fontaines à étages. De quoi apporter une touche d’authenticité et de qualité sur un marché dominé par le produit peu cher et consommable. Ce phénomène ira de pair avec les couleurs aux tonalités crème, blanc cassé et beige qui ont progressivement détrôné l’anthracite, roi des aménagements extérieurs jusque-là. D.F.

Aurons-nous droit à un jardin à la Bridgerton à l’entrée des JDC 2025 !
M.R Pour annoncer la couleur, Chlorosphère, les JDC Garden Trends et leurs partenaires exposants, prévoient une entrée du salon sur le thème Regencycore. Citons pour exemple les pépinières et partenaires de la marque Silence, ça pousse ! Avec leurs plantes grimpantes sur les structures de Cerland pour donner de la hauteur à l’ensemble ! Rendez-vous du 25 au 27 mars à Marseille pour entrer en profondeur dans l’exploration des tendances 2026 !